Sous le pseudonyme resté célèbre du comte de Lautréamont se cache Isidore-Lucien Ducasse, le fils d’un diplomate français

parti occuper en Uruguay le poste de commis-chancelier au Consulat-général de France. Né à Montevideo en 1846, dans une

période historique troublée, ses premières années ont pour toile de fond la violence et la dévastation d’une guerre qui

retiendra Montevideo assiégée par l’armée argentine de 1843 à 1851. De retour en France, il suit ses études au lycée de

Tarbes, avant de monter à Paris dans le projet de préparer Polytechnique… ce qu’il ne fait pas. Passant ses nuits à écrire

quasi fiévreusement, il donne à paraître en 1868, à compte d’auteur et sous anonymat, le premier des Chants de Maldoror; sa grande œuvre.

Dès l’année suivante, les cinq derniers chants sont édités, mais sous un pseudonyme cette fois: Lautréamont est sans nul

doute emprunté du titre d’un roman d’Eugène Sue, alors très en vogue, et qui avait eu un immense succès. L’intérêt de ce

pseudonyme s’éclaire aussi par sa double consonance de "l’autre est amont" au sens de "l’autre est au-dessus, supérieur",

autant que "l’autre est Amon" pourrait faire référence au dieu égyptien du soleil. Mais l’éditeur, effrayé par la violence et

la révolte qu’ils expriment gardent la plupart des exemplaires dans sa cave, et les Chants

passent inaperçus.

En 1870, Isidore Ducasse reprend son nom pour faire paraître deux essais en prose rassemblés sous le titre paradoxal de Poésies. Il change complètement de ton et de genre, prônant alors une littérature optimiste et saine,

exaltant la vie. Poésie I et Poésie II sont symétriquement l’envers

des Chants de Maldoror. Ce revirement soudain dans son écriture gardera autant de mystère que la

propre disparition, prématurée, de l’auteur en novembre de la même année. Retrouvé mort à l’hôtel du faubourg Montmartre où

il logeait, son acte de décès ne stipule aucun renseignement.

Si certaines œuvres insolites trouvent leur explication dans la vie de leur auteur, ici la violence outrée, le surréalisme

rutilant comme le déferlement torrentiel des images hyperboliques dégagés par les Chants de

Maldoror s’imposeront d’eux-mêmes au siècle qui les aura fait naître.