1938. L'Anschluss. Hitler est acclamé à Vienne. Mais, pour le vieux prince von Rosegg, penché sur la biographie de l'empereur Joseph II, Hitler ne sera jamais qu'un intrus mal élevé. Aussi, préfère-t-il renier son petit-fils chéri, Friedl, qui a rejoint les rangs de l'armée nazie, et ne garder auprès de lui que Renata, la sœur de Friedl, restée fidèle à l'Autriche libre.
Pour ces aristocrates, chez qui domine le sens du devoir et de l'honneur, c'est tout de même la fin d'un monde. Il est bien proche, pourtant, ce temps où Friedl et Renata von Rosegg retrouvaient, à Sankt-Anton, pour des vacances insouciantes, la petite bande joyeuse de leurs cousins de Belgique.
Ceux-ci, d'ailleurs, à Louvain ou à Bruxelles, ne sentent que confusément la menace qui pèse sur l'Europe. Leurs études, leurs plaisirs, leurs jalousies, leurs rancunes, masquent — pour combien de temps ? — la nécessité de prendre parti. Et cela, bien que l'un d'entre eux n'ait pas hésité à aller combattre le fascisme en Espagne…
Alors, quand, une fois encore, les uns et les autres se trouveront réunis, à Salzbourg, pour le Festival, les accents de « La flûte enchantée » marqueront sans doute la dernière pause, l'ultime suspens avant la catastrophe. Qu'adviendra-t-il ensuite de toute cette jeunesse ? Quelles désillusions l'attendent ? Quels sacrifices lui seront demandés ?
Avec un talent de mémorialiste, mais aussi avec la vision aiguë et la sensibilité d'un grand romancier, Daniel Gillès peint ici, à travers quelques destins exemplaires, l'agonie du vieux monde et la dramatique mise en cause d'une génération, qui risque d'être une génération perdue. Il sait recréer des atmosphères — la douceur de vivre dans l'Autriche d'avant-guerre, les discussions d'étudiants dans les cafés de Louvain, un dîner de notables, un bal… — sans perdre de vue la marche des événements historiques, ni la vérité psychologique de personnages en proie à toutes les passions.