« Il n’y a pas de cordon sanitaire pour les épidémies intellectuelles et morales. »
Convaincu de l’influence subversive des hommes de Lettres sur la société, Jean Carrère livre avec éloquence son analyse littéraire des Mauvais Maîtres du XVIIIe et XIXe siècle. Rousseau, Chateaubriand, Balzac, Stendhal, George Sand, Musset, Baudelaire, Flaubert, Verlaine, Zola, il s’attaque avec une plume acérée à ces monuments sacrés de la littérature française. Ces essais au vitriol, publiés de 1902 à 1904 dans la Revue hebdomadaire, interrogent sur la responsabilité de ces écrivains dans un contexte de décadence. Entre admiration pour leurs talents et lucidité sur leurs influences néfastes, cet iconoclaste dresse sans fioritures le portrait de ceux qui, en marquant à jamais l’histoire littéraire, ont semé selon lui le désenchantement, l’arrivisme et le culte de l’individualisme. Ce texte singulier remet ainsi au cœur des débats la question suivante : ces grands auteurs sont-ils des « déformateurs d’âmes », créateurs de tendances plus ou moins destructrices ou des visionnaires, agents révélateurs des changements à venir ?
Extrait :« Rousseau fut le père du romantisme maladif, comme Dante fut le suscitateur de la lumineuse Renaissance et des beaux siècles classiques. Cette maladie exaspérée du moi, nous allons la retrouver, sous des formes différentes, dans tous les « mauvais maîtres » du dix-neuvième siècle. Elle inspirera la mélancolie de Chateaubriand, l’ambition vulgaire des héros de Balzac, la misanthropie de Stendhal, la passion en révolte de George Sand, la désespérance de Flaubert, la faiblesse amoureuse de Musset, le rêve de Baudelaire, la déchéance morale de Verlaine, le pessimisme de Zola, Rousseau porte en germe dans son œuvre tout ce que le siècle suivant aura de malsain... »